« On dirait des hommes » – Fabrice Tassel

Lu en : Avril 2024

Le salon « Iris Noir, c’est dans la poche » était une bonne occasion de faire de nouvelles rencontres littéraires. Certes, j’aime retrouver certains de mes auteurs préférés de manière récurrente, mais je ne me priverai jamais du plaisir de partir à la découverte de nouvelles plumes ! Fabrice Tassel est journaliste et aime à s’emparer de sujet d’actualité pour les traiter différemment… Dans « On dirait des hommes », l’auteur va mettre l’accent sur la lâcheté des hommes. N’entendez pas « des hommes » comme « du genre humain ». Non. Entendez « hommes » comme individus de sexe masculin. Un livre qui bouscule. Un livre qui fait mal. Un livre qui brise le mythe du super mec testostéroné, qui gère dans n’importe quelle situation.

Anna et Thomas ont perdu leur fils. Il a trébuché sur un anneau d’amarrage un soir de tempête, est tombé à l’eau et s’est noyé. Eux qui avaient mis tellement de temps à trouver un équilibre : enfin quitter Paris, s’acheter un petit nid, trouver un boulot stable, voir grandir leur enfant. Jusqu’à ce drame, que Thomas n’a pas su éviter, qu’il se reproche. C’était juste un accident, mais qui a scellé leurs destins. Anna, Thomas et Gabi étaient une famille. Aujourd’hui, Anna et Thomas sont un couple plein de fissures et de regrets. Le dossier de cet accident est sur le bureau de la juge d’instruction Dominique Bontet, qui, comme à son habitude, accordera à la famille ses pensées et gardera ouverte l’instruction jusqu’à la date limite à laquelle la clôture doit s’effectuer. Parce qu’elle le doit à la famille. Parce que c’est sa façon de faire. Dominique ne veut plus jamais commettre l’erreur de croire aux apparences, alors elle analyse, décortique, offre l’attention professionnelle que chaque dossier mérite, même quand il s’agit d’un simple accident. D’ailleurs, ça fait partie du processus de deuil, pour Anna et Thomas. Que Dominique puisse refermer le dossier sur ce constat : c’était juste un accident.

Lorsque l’on suit Dominique et ses blessures de femme, de juge, c’est une personne impliquée et persévérante que l’on découvre. Une femme qui, dans l’exercice de ses fonctions, côtoie des gens ordinaires qui cachent de lourds secrets. C’est à elle de sauver les victimes qui acceptent de l’être, quitte à forcer le destin. On la voit déroutée par ce cas de maltraitance conjugale qui atterrit sur son bureau et qui ouvre la porte à mille questions. En comparaison, l’histoire de Gabi est banalement simple, même si elle n’en est pas moins tragique.

Lorsque l’on suit Anna et Thomas, l’auteur nous fait voyager entre le couple d’avant le drame, lorsqu’ils écrivaient leur avenir, et celui d’aujourd’hui, qui doit apprivoiser l’absence. Les silences de l’un sont interprétés par l’autre, et l’on comprend, nous lecteur, à quel point les non-dits et les apparences peuvent creuser des fossés d’incompréhension entre deux êtres qui partagent une vie. L’intimité d’un couple, d’une famille, est parfois aussi basée sur des apparences, une image de soi que l’on a envie de voir se refléter dans le regard des proches, quand bien même, pour cela, il faut mentir, cacher, dans la peur qu’être simplement soi-même ne soit pas suffisant. Le Thomas d’avant est l’incarnation de l’homme qui veut assurer extérieurement, mais dont les pensées sont sombres. On dirait qu’il observe sa vie comme un spectateur, qu’il n’est jamais satisfait, qu’il se sent pris au piège, victime de sa vie. Et pendant ce temps, Anna se décarcasse pour tout. Un exemple tellement banal de la charge mentale que s’imposent les femmes, cette impression que le monde tourne autour du bonheur des autres et que c’est aux femmes de s’assurer que tout le monde y trouve son compte. Enfin, si elle s’y perd, elle, ce n’est pas bien grave… Dommage collatéral…

Ces lignes font mal. Elles rappellent à quel point il suffirait d’être sincère, d’être vrai, pour éviter les malentendus. Bien souvent, le cœur d’une famille est la connaissance qu’ont les uns et les autres des forces et des faiblesses de chacun. Et la force de la famille réside dans la possibilité, ensemble, d’utiliser ces forces et de pallier les faiblesses. Sauf que la vérité, ce n’est pas que l’on connaît, mais bien que l’on croie connaître… Et là est toute la nuance dont a su tirer parti l’auteur pour nous offrir un drame poignant. C’est un roman à charge contre certains hommes, écrit par un homme. Oui, les hommes peuvent être sensibles et plaider la cause des femmes sans caricature ni victimisation. « On dirait des hommes » est tout simplement magistral, dans son thème et dans sa manière de l’aborder. Cerise sur le gâteau, forcément, on gamberge, on suppose, on élabore des théories. Et moi, qui devine souvent les contours des réponses, quand je ne les découvre pas, tout simplement, j’ai été cueillie par la résolution que nous offre l’auteur. Une histoire émouvante, creusée, crédible, et un final surprenant, c’est tout ce que j’aime ! Assurément une lecture qui trônera en bonne place dans mon top 2024 !

16 réflexions sur “« On dirait des hommes » – Fabrice Tassel

    1. Merci beaucoup ! Oui, et même au delà de problèmes de masculinité, il m’a touchée parce que je prends conscience aussi que moi-même parfois, je masque des failles ou des faiblesses parce que tout le monde compte sur moi ou j’imagine des réactions à la place des autres… ça m’en appris finalement aussi sur moi-même dans une certaine mesure, et ça m’a énormément touchée.

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    1. Merci beaucoup 🙈.
      Effectivement, j’ai été vraiment très touchée par ce roman et il m’a beaucoup fait réfléchir. Je sais qu’un roman est souvent aimé ou pas en fonction d’un ressenti, d’une histoire, d’un thème, mais surtout d’un moment, et je pense que je l’ai lu au meilleur moment, ce moment de ma vie où j’essaye d’arrêter de courir et de réfléchir à ce qui compte vraiment… bon, arrêter de courir, c’est raté 😅. Mais la réflexion est bien en marche 😊

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  1. Le fait de passer par les deux aspects du couple, celui d’avant l’accident et celui d’après l’accident, doit rendre l’effet encore plus saisissant. Tes mots sonnent très juste Nath, et même passer le cap de la sincérité, il suffirait aussi parfois de se défaire de ce silence que l’on s’impose, par pudeur, par honte peut être, par peur aussi de blesser ou décevoir. Il suffirait d’une phrase parfois pour désamorcer une bombe qui dort au fond de nous. Ce roman, que je découvre grâce à toi, me fait très envie désormais mais je crois ne pas avoir la force nécessaire en ce moment pour y faire face alors je le note pour plus tard. Merci pour la découverte 🙂

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      1. Merci beaucoup Nath, ta chronique et tes mots ont réveillées une facette qui vibrait en moi. Ca va aller comme toujours, et j’espère que ça va pour toi également ❤️ Je prendrais ce moment quand il viendra, pour découvrir ce livre. Merci 😘

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  2. Whaou, celui-ci je l’avais déjà noté à sa sortie mais je n’avais rien fait d’autre.

    Là avec ta chronique je crois que je vais l’acquérir.

    En plus j’ai lu il y 10ans au moins son « premier roman  » ou pas, paru chez Denoël, sur un haut fonctionnaire qui pète les plombs. J’avais trouvé l’analyse psychologique de son personnage parfaitement prenante et maîtrisée….. Un jour peut-être que j’en parlerai, faut que je retrouve mes notes….. 😉

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