« Pottsville, 1 280 Habitants » – Jim Thompson

Lu en : Juin 2024

Il arrive parfois que des livres nous tombent dessus par un extraordinaire concours de circonstances. Ce titre fait partie de ceux-là ! Alors que, pour mon rendez-vous au Book Club de juin, je devais « lire un classique de la littérature noire », je commençais à sécher… À l’occasion d’un dîner-rencontre avec Franck Thilliez organisé par Iris Noir Bruxelles, nous avons eu la chance de partager une petite discussion avec l’auteur et j’en ai profité pour lui demander quels titres il recommanderait pour ce thème. Il en a cité quelques-uns, mais m’a confirmé, avec un sourire espiègle, que celui-là, en particulier, devrait me plaire, parce que rempli d’humour noir… Ou quand toi et ton humour pourri êtes repérés en quelques minutes à peine…

Après un tel conseil personnalisé, tenter autre chose aurait été une injure au Maître ! Je me suis donc procuré et ai lu dans la foulée ce titre initialement paru en 1964 sous le titre « 1275 âmes ». (La chronique, par contre, a pris quelques chemins détournés 🫣)

Nick Corey est shérif d’une petite ville du Texas en 1917. Il va bientôt devoir se faire réélire. Ce qui signifie fournir un minimum d’effort pour paraître compétent. Ce qui ne sera pas simple, car il est pourvu d’une flemme encore pire que celle de mes gosses quand je leur demande de vider le lave-vaisselle, et c’est pas peu dire !!! Fainéant, cynique, d’apparence un peu simple, Nick est en fait un fin stratège, un tordu comme on en fait peu. Un véritable antihéros aux observations hilarantes, qui sont un condensé d’humour noir et que j’ai franchement savourées !

Tout le livre se déroule au rythme de cet oisif débonnaire qui se débat entre son épouse, son beau-frère taré, ses maîtresses et son rival politique, le tout avec un flegme inimitable. Ce manipulateur hors pair, qui passe pourtant pour l’idiot du village, piège tout le monde, et alors qu’il nous narre des faits passablement dégueulasses, mais surtout condamnables, on en est presque à en redemander !

Cinq mois plus tard, je souris encore rien qu’à évoquer à cette lecture décalée, et, quand on y pense, plutôt osée, eu égard à l’époque à laquelle ce texte a été écrit ! Car l’auteur se fend d’une analyse plutôt acerbe de la société, et c’est grinçant, mais jubilatoire, même quand c’est peu élogieux pour la sacro-sainte population blanche d’un État du Sud des États-Unis. Les situations sont parfois rocambolesques. Un tic de langage particulièrement délicieux de ce shérif pas comme les autres m’a vraiment fait rire : « j’dis pas que… » et ça marche pour tout ! À sa manière de faux abruti, il rectifie la vérité avec un air de ne pas y toucher, et on adore !

Une bonne lecture qui rape et qui dérape ! Un pur moment de poilade que je recommande ! Merci Franck Thilliez !

Citations :

« (…) Si j’avais la moindre qualité, alors, je ne pourrais plus être l’immonde petit salopard qui a buté sa propre mère en venant au monde. Et il faut que je sois ce petit monstre-là, pour qu’il puisse vomir sa bile sur moi. Je ne lui en veux plus autant qu’avant, parce que j’ai vu beaucoup de gens assez semblables à lui. Des gens qui cherchent des réponses faciles aux grands problèmes. Des gens qui tiennent les Juifs ou les Noirs pour responsables de toutes les calamités qui leur tombent sur la tête. Des gens incapables de comprendre qu’un nombre incroyable de choses vont forcément mal tourner dans un monde aussi vaste que le nôtre. Et s’il existe une explication à cet état de fait – et il y en a pas toujours – eh bien, elle n’est sans doute pas unique, car dans ce cas on peut trouver des milliers de réponses possibles. (…) « 

« (…) –  Je te propose un échange de compliments. Je vais te raconter ce qu’un type m’a dit sur toi, et puis tu me feras part d’une remarque flatteuse à mon sujet qui te serait venue aux oreilles. L’autre jour, je croise un gars qui me déclare :  « Nick, dans cette ville, personne n’a une mère plus jolie que la vôtre. » Alors je lui demande ce qu’il veut dire par là, naturellement, vu que ma maman est morte depuis longtemps. Et il me répond : «  Eh bien, cette dame que vous appelez Myra. Vous voulez me faire croire que ce n’est pas votre mère ? » Voilà exactement ce qu’il m’a dit, ma chérie. À ton tour maintenant de me rapporter quelque chose de gentil qu’on a dit à mon sujet. Myra ne dit toujours rien. Mais elle bondit sur moi avec un feulement de chat sauvage, toutes griffes dehors, pour m’arracher les yeux. (…) « 

« (…) Ce que je pense c’est qu’elle doit avoir des fourmis dans le fri-fri ou des cafards dans le falzar, une tracasserie de ce genre-là. En tout cas, il me semble urgent de faire quelque chose avant que sa culotte ne prenne feu et ne provoque un incendie sur le champ de foire, déclenchant une panique telle que des milliers de gens pourraient périr piétinés, sans parler des dégâts matériels. Et je ne vois qu’un seul moyen d’empêcher ça. (…) « 

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