« Magali » – Caryl Ferey

Lu en : Octobre 2024

Je ne savais pas exactement à quoi m’attendre en ouvrant Magali. Un roman signé Caryl Férey, c’est souvent un cocktail de noirceur, de violence sociale, de colère géopolitique et de personnages cabossés par des systèmes qui broyent. Mais ici, l’auteur nous prend à contre-pied, et c’est sans doute ce qui rend ce livre si fort, si déroutant, mais surtout si juste. Magali, c’est le prénom d’une femme : Magali Blandin. En 2021, dans un petit village breton, elle disparaît. Un mois plus tard, son corps est retrouvé. C’est son mari qui l’a assassinée.

Le fait divers a marqué les esprits. Mais pour Caryl Férey, le bouleversement est important. Ça s’est déroulé dans le village de son enfance. Pour lui, ces gros titres des journaux, ça n’est plus un visage anonyme. C’est le visage d’une femme qui vivait dans des lieux qu’il connaît. Un drame dans un décor familier, et voilà l’auteur déstabilisé.

Alors, Férey prend son arme la plus puissante : sa plume. Non pas pour enquêter, car tout (ou presque) a déjà été dit. Non pas pour disculper non plus. Mais pour empêcher que Magali ne meure une seconde fois, dans l’oubli, le silence, ou la banalité.

Mais cette histoire, c’est aussi pour l’auteur un retour personnel et intime sur les terres de son enfance. En enquêtant sur cette affaire, Caryl Férey replonge dans son propre passé, dans l’insouciance de son enfance dans ce petit village breton, dans une société qu’il regarde aujourd’hui avec plus de lucidité, plus de colère parfois. Ce drame lui sert de miroir, révélant les failles d’un monde qu’il croyait connaître. Il interroge son regard d’alors, celui d’un gamin d’une époque « normale », puis celui d’un adulte confronté à l’horreur au coin de la rue.

Cette introspection discrète donne au texte une résonance particulière à laquelle je ne m’attendais pas non plus. Mais ce qui m’a profondément touchée dans ce texte, c’est la retenue. Caryl Férey, à la plume habituellement tranchante, simplifie son écriture comme on baisse la voix dans un lieu sacré. Il parle de Magali avec pudeur, avec sobriété, avec justesse. Il écrit pour ne pas trahir. Et il fait pour cela le choix d’un procédé très fort : seuls Magali et son assassin sont nommés. Tous les autres personnages, témoins, proches, voisins, sont désignés par un nom commun et un adjectif. « Pharma stoïque », « Mitraillette passionnée »… Comme si l’humanité de ce drame ne devait pas être diluée dans des individualités anonymes, mais concentrée sur ce qui se joue entre deux êtres : une femme, qui tente de revivre ; un homme, qui refuse qu’elle lui échappe.

C’est là tout le paradoxe de ce récit. On n’y découvre rien de sensationnel. Pas de révélation inédite, pas d’enquête haletante, pas de twist. Et pourtant… on en ressort avec le cœur serré. Parce que l’auteur nous montre tout ce que les médias ne disent pas. Le silence, les signaux d’alerte ignorés. L’effondrement lent d’une femme « sans histoire ».
Et ce vertige immense : comment peut-on en arriver là ?

Sans jamais excuser, l’auteur explore ce que le mot « féminicide » recouvre sous des dehors de banalité : l’effroyable, l’invisible.

Magali est un texte à part. Ce n’est pas un roman, c’est un cri. Une tentative de réparation. Pas de voyeurisme, ici, pas de sensationnalisme non plus. Juste une écriture dépouillée au service de la mémoire. Un hommage aussi à toutes celles que l’on oublie trop vite. On n’en apprend pas « plus », mais on comprend peut-être « mieux ». Et c’est sans doute ça, la vraie force de « Magali ». Il ne s’agit pas de lire pour savoir. Il s’agit de lire pour ressentir, pour se rappeler, pour ne pas détourner les yeux. Un texte à lire le cœur grand ouvert.

31 réflexions sur “« Magali » – Caryl Ferey

  1. Quand je viens de voir que tu avais lu ce livre de Caryl Ferey, j’ai voulu lire ton ressenti… à l’opposé du mien. Je suis une inconditionnelle de Caryl Ferey qui est l’un de mes auteurs préférés si ce n’est mon préféré. J’ai donc voulu découvrir « Magali ». Et j’ai calé… je ne l’ai pas terminé… je n’ai pas accroché à son écriture légère concernant son retour dans son pays d’enfance… Ce côté là je l’ai beaucoup apprécié dans « Comment devenir écrivain quand on vient de la grande plouquerie internationale » mais là je ne m’y attendais pas et je n’ai pas apprécié. Peut-être aurais-je du continuer ma lecture, mais non. Déjà qu’en temps normal je ne suis pas adepte des faits divers. ça m’a fait tellement mal au cœur d’abandonner un Caryl Ferey ! Merci pour ton retour. Je suis heureuse que tu l’ais apprécié 🙂

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      1. Alors si tu me lances sur Caryl Ferey, je ne saurais pas m’arrêter ! 😉 Plus sérieusement, « Zulu » qui se déroule en Afrique du Sud, est incontournable. « Mapuche » qui se déroule en Argentine est sans doute mon préféré, un coup de cœur et au cœur total !! « Lëd » en Sibérie est excellent et glaçant et « Okavango » dans les réserves africaines est un hymne à la protection des animaux… Y en a d’autres, ils sont très bons aussi, mais pioche dans ceux-là et tu seras conquise ! 🙂 « Paz » ne fait pas partie de mes préférés… 😉

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      2. Avatar de laplumedelulu laplumedelulu

        Voilà Nath. Écoute une fan absolue. Me suis trompée de continent avec Zulu, c’est l’Afrique du Sud, pas la Nouvelle Zélande 😊. Mais ça tabasse fort tout de même

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