« Shining » – Stephen King

Lu en : Janvier 2025

Shining est un monument de la culture, qu’elle soit littéraire ou cinématographique. Et pourtant, lorsqu’a démarré l’année 2025, je n’avais ni lu l’un, ni vu l’autre… Fin 2023, pourtant, j’avais craqué sur l’édition collector parue chez JC Lattès et dotée d’une nouvelle traduction signée Jean Esch et d’une sublime préface de Delphine de Vigan.

Bien sûr, j’avais en tête certaines images rien qu’à l’évocation du titre, comme Jack Nicholson avec son visage fou passé à travers une porte brisée, ou encore des jumelles fantomatiques et franchement flippantes, ou enfin Danny arpentant les couloirs de l’hôtel Overlook sur son tricycle.

Pourtant, quand je suis entrée dans ces lignes, j’ai vite compris que ce raccourci hollywoodien ne rendait en aucun cas justice au chef-d’œuvre de Stephen King ! Certes, on va effectivement côtoyer la folie, les spectres, la terreur, le froid, l’enfermement, mais c’est tellement plus que ça !

Jack Torrance, c’est juste un gars en quête de reconstruction depuis que sa vie a pris quelques mauvais virages. De professeur (écrivain à ses heures perdues) ayant un grave penchant pour la bouteille, il est devenu un alcoolique repenti en lutte perpétuelle pour ne pas replonger, puis un professeur déchu à la suite d’un dérapage incontrôlé qui lui a valu un renvoi. Il doit se faire oublier un peu avant de pouvoir revenir faire son mea culpa et espérer réintégrer son poste. Alors, son ami, un alcoolique repentant, lui aussi, mais qui, contrairement à Jack, n’a pas un compte en banque anorexique, lui propose de postuler comme gardien à l’hôtel Overlook. L’emploi consiste à veiller à ce que l’hôtel, déserté par les touristes et fermé pendant l’hiver, survive à cette saison morte et soit près, dès les prémices du printemps, à accueillir ses hôtes. L’hôtel est niché en plein cœur des montagnes Rocheuses et devient quasiment impossible à rallier dès les premières chutes de neige. Jack voit dans cette opportunité un bon moyen de régler ses problèmes. D’une part, il pourra finaliser son projet d’écriture, le job n’étant pas excessivement chronophage, d’autre part, il pourra remettre ses finances un peu à flot, et, cerise sur le gâteau, il pourra passer un temps précieux avec sa famille… Son épouse, Wendy, qui a bien failli le quitter lorsque son alcoolisme lui a fait lever la main sur Dany, et Dany, justement, son fils. Un petit gars exceptionnel et particulièrement futé, surnommé Doc (canard, dans la première traduction et dans le film…).

Dany n’est pas un enfant exactement comme les autres. Il y a d’abord Tony, que ses parents perçoivent comme un simple ami imaginaire, mais qui, pour Dany, est bien plus que ça. Et puis il a cette faculté d’ « entendre », de « ressentir » les sentiments de son entourage. Il faudra attendre son arrivée à l’Overlook et sa rencontre avec l’exceptionnel cuisinier Dick Halloran, qu’il croisera lorsque son père prendra ses fonctions, pour découvrir l’explication. Dick, qui partage les dons de Dany, lui expliquera qu’il est doté d’un don de télépathie et de clairvoyance d’une puissance telle qu’il n’en avait jamais rencontré. Dick appelle cela le Shining. L’homme est bien conscient de l’aura néfaste de l’Overlook, qui semble réellement attirer à lui les esprits forts, tourmentés ou non. Alors, avec sa bonhomie, mais surtout sa bienveillance, il tente, dans le peu de temps qui lui est imparti, de prévenir Dany et de lui donner les clés pour gérer tout ce qu’il risque de voir à l’Overlook.

Ce qui m’a le plus touchée dans le livre est sans aucun doute le combat de Jack Torrance contre l’alcoolisme et la descente aux enfers qu’il vit à l’Overlook. L’hôtel agit comme une métaphore de cette maladie qui, peu à peu, affaiblit l’esprit de Jack jusqu’à le transformer en monstre. On en a vu, des gens biens, devenir quelqu’un d’autre sous l’influence de l’alcool, et chercher ailleurs un responsable à leur propre vulnérabilité. Bien sûr, l’isolement progressif (les personnages pouvant encore quitter l’Overlook au début de leur séjour) et la solitude de cette famille ne font qu’accentuer l’oppression exercée par les entités maléfiques qui hantent cet endroit. Ces dernières fonctionnent comme des catalyseurs, détruisant progressivement l’esprit de Jack, mais aussi celui de sa famille.

On apprend que l’hôtel est marqué par une histoire sanglante, qui fascine Jack, et cette obsession l’éloigne encore un peu plus de la ligne de conduite qu’il s’était fixé en arrivant. L’hôtel est puissant. Il exerce sur Jack une emprise psychologique et le manipule, mais sur Danny, l’effet est bien différent. L’enfant est terrorisé par ce que l’hôtel lui montre, et accessoirement, le lecteur aussi ! Pendant ce temps, seule Wendy semble ne pas souffrir de l’emprise directe de l’hôtel, mais elle souffre tout autant de ce qu’il inflige à ses proches. Loin d’être l’épouse insipide et inutile reflétée par le film, la Wendy du King est une mère décidée à se battre envers et contre tous pour son fils, et une femme qui a tout mis en œuvre pour aider son mari à se débarrasser de ses addictions, mais qui ne peut s’empêcher de guetter les signes d’une rechute. Pour Jack, cette suspicion permanente est une insulte, mais qui a déjà été à la place de Wendy deux minutes peut comprendre que pas un jour ne se passe sans l’appréhension d’un nouvel « incident », sans l’angoisse d’avoir fait le mauvais choix en tenant bon et en restant, sans la hantise de ne pas savoir de quoi demain sera fait.

Et ce Shining, dont rien que l’évocation est terrifiante, moi je l’ai tellement aimé ! Si je doute évidemment d’une telle puissance, je crois cependant que certaines personnes ont réellement une espèce de sixième sens, une sensibilité exacerbée, qui les rend plus intuitifs. Qui n’a jamais ressenti un réel coup de froid en entrant dans une pièce où planent des non-dits ? Qui n’a jamais pressenti l’imminence d’un drame ? (Appelons ça un pressentiment !) Qui n’a jamais capté des micro-signaux qui échappent aux autres lorsqu’une personne est en souffrance (même si elle n’en dit rien) ? Certes, le King a forcé le trait, mais je ne doute pas que certains ont une perception plus affinée du monde et, probablement, en souffrent.

Une chose est certaine, je pensais m’attaquer à un monument de la littérature horrifique, et j’ai finalement heurté de plein fouet un monument psychologique qui m’a durablement marquée. Le King vient encore de m’offrir un coup de cœur…

51 réflexions sur “« Shining » – Stephen King

  1. 🤩Excellent avis sur ce monument que je partage tout à fait, le film offre un très bon moment de distraction avec un Jack Nicholson fascinant mais le livre est un chef d’oeuvre d’une richesse incroyable; le style de King est impossible à retranscrire au cinéma, il faut le lire! Ta chronique est extrêmement convaincante!

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      1. Avatar de laplumedelulu laplumedelulu

        C’est le mot adaptation qui me gêne, justement. C’est plutôt une honte de massacrer une œuvre littéraire de cette façon. 🙄 Doctor Sleep a ravi mon cœur de lectrice. 😊 Avec grand plaisir pour ta chronique 🥰😘

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  2. Avatar de Céline C. Céline C.

    Bravo Nath pour cette belle chronique, un très bel hommage à ce monument de la littérature.

    Le côté psychologique de cette histoire est incroyable et l’emprise de cet hôtel est effrayante. C’est le côté mystérieux et fantastique que j’aime le plus chez cet auteur, cette frontière entre deux mondes, parfois bien mince. C’est trop flippant, mais j’adore.

    J’ai dans ma PAL La ligne verte que je dois absolument lire 😉

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      1. Avatar de Céline C. Céline C.

        J’ai adoré le film ! et je voudrais vraiment découvrir le livre. Et en lisant Nath, je me dis que ce serait bien, car parfois, il peut y avoir une différence entre l’adaptation et le roman. Apparemment pour La ligne verte les deux semblent chouettes ! Merci Lilou ☺️

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    1. Avatar de laplumedelulu laplumedelulu

      Céline, sors la, la ligne verte, sors la de ta pal, et file retrouver Paul, John. Ainsi que Mister Jingles. Prépare les mouchoirs également, ce livre est absolument magnifique et pour une fois, fidèle au film. 🥰

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      1. Avatar de Céline C. Céline C.

        Oui Dame Lulu, tu as tellement raison 😁

        Oh Mister Jingles … 🥰.

        Purée, c’est ça le problème ce sont les mouchoirs … c’est pour ça que j’ai du mal à me lancer dans le roman. Déjà le film, au secours ! et pourtant je l’ai vu je ne sais pas combien de fois, et chaque fois c’est la même histoire 😭.

        Des bisous Dame Lulu 😘

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      1. Avatar de laplumedelulu laplumedelulu

        Ce livre est une encoche dans le cœur qui ne s’effacera jamais. Je l’ai lu à la suite du visionnage du film sur grand écran, et j’y ai retrouvé le même enchantement. Certes, on pleure mais qu’est ce qu’il est beau. 😍.

        Des bisous à toi Céline 😘

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  3. J’ai d’abord vu le film avant de lire le bouquin et même si sur le moment j’ai aimé, lorsque je l’ai lu, j’ai été effarée de la différence. Et j’ai compris pourquoi S. King n’aimait le film ! L’essence même du livre a été retirée. L’aspect psychologique complètement occulté et une Wendy complètement neuneu ! Le film n’existe que grâce à Nicholson, même le gamin semble à côté de la plaque. Alors que le livre est juste un bijou !

    S. King préférait l’adaptation en série « L’enfant lumière » qui est beaucoup plus fidèle au livre.

    Je ne me souvenais pas que Dany était appelé canard… ça a toujours été Doc pour moi… Je te recommande la suite Doctor Sleep et les films aussi 😉

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      1. Doctor Sleep est vraiment la suite de Shining, on compred pas mal de choses par rapport à Danny.
        La série, date de 1997, écrite et produite par Stephen King lui-même. On a du mal à la trouver, il a un peu vieilli. Filmée à l’hôtel Stanley à Estes Park, CO., l’hôtel même qui a inspiré le livre 🙂
        Bonne après-midi !

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  4. Tu as totalement raison, c’est tellement plus que ça ! 😃 Je n’ai pas tellement accroché au film et du coup je n’avais pas tellement envie de découvrir le roman, c’est mon mari qui m’a un peu poussé et il a bien fait ! J’ai tellement apprécié me rôle de Wendy dans ce roman, et celui de son fils, ce petit garçon tellement malin. Et l’Overlook dégage une aura tellement spéciale, je suis contente que tu l’ai aimé aussi. 🙂

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  5. C’est un roman que je n’ai jamais lu, mais j’ai eu envie de le faire quand j’ai découvert la suite récente, que j’avais d’ailleurs bien aimée. Le côté psychologique m’intéresse justement beaucoup.
    Après, l’oeuvre de Kubrick est connue pour être très différente et d’ailleurs, il me semble que Stephen King lui-même ne l’aime pas du tout. C’est un film que j’ai revu en VO à mon cinéma il y a deux ou trois ans et qui est tout de même excellent. Certes, peut-être pas en tant qu’adaptation, mais en tant qu’oeuvre tout court.
    Quand j’étais gamine, j’avais vu une adaptation en téléfilm que j’avais bien aimée. Le côté familial et l’alcoolisme du père était bien mis en avant, justement, avant l’arrivée à l’hôtel. Là encore, il me semble avoir lu que Stephen King avait approuvé cette adaptation, qu’il juge plus fidèle à son histoire (mais c’est à vérifier).
    Bref, je pense que je lirai Shining un jour ou l’autre. Sinon, je suis dans Talisman depuis décembre et j’en suis à seulement la moitié. Je m’emmerde un peu et pourtant, je n’ai pas non plus envie d’abandonner ma lecture.

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  6. Méga fan de Stephen King, je n’ai lu Shining que sur le tard, il y a quelques années, mais je l’ai franchement adoré !

    Ayant vu le film avant, j’avoue que je préfère largement le bouquin et que je trouve vraiment dommage que Kubrick n’ait pas suivi le roman à la lettre – sans mauvais jeu de mots…

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