« Antoine, un fils aimant » – Sandrine Cohen

Lu en : Mai 2025

Antoine a 17 ans. Il a tiré sur son père, mais c’était un accident. Pas de point d’exclamation, non. C’est une constatation. Antoine est navré. C’était un accident. Il est responsable. Enfin, autant qu’on peut l’être à 17 ans. Il n’y a pas de raison de chercher plus loin.

Sauf que c’est justement à Clélia Rivoire de s’en assurer. Et Clélia n’est vraiment pas du genre à se contenter des apparences. Car oui, en apparence, il ne s’agit que d’un banal accident. Mais derrière le regard froid du jeune homme, derrière son discours et son air buté, Clélia craint un manipulateur. Il maîtrise tout, beaucoup trop bien… Clélia est fermement décidée à creuser, parce que c’est son métier.

Clélia est enquêtrice de personnalité. Son rôle ? Comprendre. Pas les faits bruts : le tir, le sang, la panique de l’appel à police secours, ça, c’est pour les policiers. Elle, elle s’occupe de ce qui se cache derrière. Elle rencontre, elle écoute, elle fouille. Elle interroge les proches, elle relit les bulletins scolaires, elle décrypte les silences. Elle cherche des failles, des repères, des raisons. Elle ne juge pas, elle éclaire. Son rapport, c’est un faisceau d’indices sur ce que vaut l’humain derrière l’accusé. Pour que la justice voie plus loin que le dossier. Pour que l’on sache qui est Antoine.

Et pour creuser, fidèle à sa méthode, Clélia rencontre les proches de la victime et du jeune homme. D’abord la grand-mère paternelle, une vieille dame austère et aussi souple qu’une poutre en béton. Et raciste, de surcroît ! Ce qui est plutôt gênant quand on sait que Cybèle, la mère d’Antoine, sa belle-fille, donc, est métisse, et que sa petite-fille, Mélissa, est beaucoup trop noire à son goût… Ensuite, Cybèle, si belle et si fragile, si désemparée… Enfin, Mélissa, la petite sœur, victime de cette explosion familiale, et qui répète en boucle que oui, c’était un accident… Parce que c’est vrai, parce qu’elle veut y croire, ou parce qu’elle n’a plus rien d’autre à quoi se raccrocher ? C’est à Clélia de démêler les fils de ce discours convaincu ! Et forcément, elle va mettre le doigt sur certaines choses, mais il serait criminel de ma part d’en dire plus, je préfère largement vous laisser la surprise !

Mais je peux vous parler un peu de Clélia. Clélia, que l’on avait déjà rencontrée dans « Rosine, une criminelle ordinaire« , est un personnage volcanique. Elle est entière, et elle traîne un paquet de casseroles derrière elle. Elle est fragile dedans, mais dehors, c’est une tempête. Sous ses airs extravagants, elle brûle la chandelle par les deux bouts, pique des colères monstrueuses et éprouve de très grandes difficultés à rester dans les clous quand le système la bride, au grand dam d’Isaac, son ami juge et, disons-le, père de substitution. Probablement la seule personne à qui Clélia fasse confiance.

Et pendant qu’elle se bat contre ses propres démons sur lesquels l’auteure lèvera un tout petit morceau de voile, Clélia se jette corps et âme dans l’histoire d’Antoine, Cybèle et Mélissa. Parce qu’elle a un profond besoin de vérité et de justice, parce qu’elle attend d’un procès qu’il soit juste, justement. Car son métier, c’est de permettre de comprendre. Expliquer l’inexplicable, sans pour autant l’excuser. Il y a les faits, et il y a l’éclairage qu’y apporte Clélia.

C’est un roman noir, qui explore les origines de la violence, l’engrenage qu’il est si difficile de briser et qui, parfois, est inscrit dans l’héritage familial.
C’est un roman noir, qui parle d’une justice qui broie, qui opprime, qui punit, mais qui, souvent, oublie de réparer.
C’est un roman noir, qui rappelle que, parfois, les âmes les plus nobles peuvent perdre leurs convictions en chemin, sacrifiées sur l’autel de l’ambition.
C’est un roman noir, qui trouble et qui questionne, qui force le lecteur à réfléchir.
C’est un roman noir, qui crie que personne, jamais, n’est à l’abri de devenir, un jour, un criminel ordinaire…

21 réflexions sur “« Antoine, un fils aimant » – Sandrine Cohen

  1. Avatar de Céline C. Céline C.

    Merci Nath pour cette belle chronique et ton joli plaidoyer ! Je n’ai pas lu le premier roman de Sandrine Cohen, pas tentée par le sujet traité. Mais ce que tu nous racontes de cette enquêtrice atypique est intéressant.

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  2. Merci pour ton regard sur ce livre mais je ne pense pas qu’il y ait un héritage de violence dans lequel nous soyons pris, j’en connais trop qui ont rejeté viscéralement l’horreur de la violence pour croire en un héritageEt je ne pense pas que les âmes les plus nobles puissent être sacrifiées sur l’autel de l’ambition, elles seraient donc non consentantes puisque sacrifiées ?Par contre oui, la justice ne répare rien, le pourrait-elle ?

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  3. Quelle excellente chronique Nath ! J’ai beaucoup entendu parler de ce roman, et je n’ai d’ailleurs pas lu le précédent avec le même personnage. Chaque fois que je lis une chronique dessus, ça me fait réfléchir. Je me disais que pour une fois, j’allais peut-être déroger à ma règle de lire les romans dans l’ordre et lire directement celui-ci.

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