Lu en : Octobre 2025

Victor Guilbert délaisse Hugo Boloren, le héros de ses précédents livres, le temps d’un ouvrage pour se pencher sur l’histoire tragiquement vraie planquée derrière la légende du « mort en trop du 11 septembre ». S’il a abandonné Hugo, on dirait bien que celui-ci lui a cependant prêté sa fameuse bille ! Vous savez, ce petit globe d’instinct qui roule dans la tête d’Hugo, s’échauffe quand quelque chose cloche et fait “ding” quand la vérité se rapproche ? De quoi permettre à l’auteur derrière le personnage de creuser, gratter, et découvrir une sinistre histoire de meurtre dont l’un des protagonistes a toujours échappé au marteau de la justice.
À creuser dans la légende qui a enflammé l’imaginaire collectif à l’origine de ce roman, j’ai découvert que le 11 septembre, au-delà du drame planétaire que l’on connaît, aurait aussi offert une solution toute trouvée à certains problèmes d’ordre… disons, cadavérique. On parle ici de corps prétendument « déposés » dans les ruines des tours jumelles, ou de personnes censées s’y trouver à l’instant fatidique. Autant de récits qui relèvent davantage de la mythologie urbaine que du fait divers documenté. Car ces histoires tiennent surtout de l’amalgame romanesque : elles puisent dans l’imaginaire conspirationniste du 11 septembre la puissance du secret, des disparitions inexpliquées, des reconstitutions occultes.
Sauf que derrière le fantasme, il y a une véritable tragédie : celle d’un jeune homme assassiné, dont les meurtriers se sont débarrassés du corps avant de maquiller leur crime en disparition volontaire… puis de s’envoler tranquillement pour la France, laissant le chaos mondial effacer leurs traces.
C’est par un simple appel de son éditeur que tout a commencé : Il fallait quelqu’un pour conter cette histoire à peine croyable, exhumée d’un vieux dossier criminel, dont les échos résonnaient encore dans la poussière du 11 septembre. De quoi piquer la curiosité d’un auteur comme Victor Guilbert, choisi par l’éditeur pour sa position stratégique d’auteur résidant opportunément à New York.
(Moi, j’ajoute que c’est sans aucun doute aussi son immense talent qui a orienté le choix des éditeurs !)
Une fois ferré, Victor Guilbert a plongé dans cette affaire. Pas à la recherche du spectaculaire, loin de là ! Lui, ce qu’il traque, c’est le sens. Les failles. La mécanique intime qui pousse des êtres ordinaires à commettre l’irréparable. Et cette question obsédante : comment la justice a-t-elle pu passer à côté des responsabilités d’une personne qui, aujourd’hui encore, profite pleinement de la vie sans jamais avoir été réellement inquiétée ? Guilbert creuse dans cette brèche entre la tragédie collective et la petite histoire individuelle : comment un crime intime peut se fondre dans le fracas d’un drame mondial, et comment le bruit de l’Histoire peut faire taire la justice ?
Bien qu’il traite d’un fait réel, l’auteur ne perd rien de ce qui fait sa plume : un brin de cynisme, un humour un peu doux, une signature que j’ai toujours toutes les peines du monde à décrire correctement, mais qui me séduit à chaque ligne. Pour l’illustrer, cette phrase parfaite, qui commence lyrique et se termine en blague de potache, insufflant une vraie tendresse dans la manière de dire les choses :
« Certains ont la tragédie collée à l’âme comme un chewing-gum aux cheveux. »
Une image à la fois drôle et désespérée, qui résume tout Guilbert : un auteur capable de faire sourire au cœur du drame, sans jamais en effacer la gravité.
Au fil de son enquête, Victor Guilbert ne se contente pas d’empiler des faits ou d’ouvrir des dossiers : il part à la rencontre. Il frappe aux portes, s’en fait claquer quelques-unes au nez, mais recueille aussi des confidences bouleversantes. Et tout cela, il nous le raconte sur fond de sa propre vie new-yorkaise, lucide et mélancolique. Loin des clichés, il retire le vernis de l’American Dream pour nous montrer une réalité moins clinquante : celle d’une ville où les dollars se comptent, où tout est démesuré, sauf parfois l’humanité.
Il observe, décortique, sans jamais juger, mais avec cette franchise un brin désabusée qui lui est propre. Comme lorsqu’il lâche, l’air de rien, cette phrase qui fait sourire avant de serrer le cœur :
« Bref, là où je veux en venir, c’est qu’au risque de jeter un énorme pavé dans la mare, j’en suis quand même venu à me poser cette question : n’y aurait-il pas un problème de racisme aux États-Unis ? »
Tout Guilbert, encore une fois : la lucidité dans le constat, l’ironie dans la forme, et cette manière rare de transformer un rire en réflexion.
Et comme dans chaque tragédie, il y a les personnages principaux, mais aussi les dommages collatéraux.
Ceux qui gravitent autour du drame sans jamais en être les héros, ces satellites d’une histoire qui n’est pas la leur, mais dont ils finissent par payer le prix.
Victor Guilbert le dit avec une justesse désarmante : chacun est le cœur de sa propre histoire, même quand celle-ci déraille par ricochet. Et parfois, il suffit d’un simple rôle de figurant pour que la vie bascule.
Avec « La trahison de Sunset Park », Victor Guilbert signe un roman qui dépasse le simple fait divers : il en fait une radiographie de la lâcheté, de la mémoire et des angles morts de la justice.
Il y mêle le réel, la tendresse et le désenchantement avec une finesse rare. Parce qu’au-delà du crime, il parle de nous : de nos failles, de nos excuses, de nos illusions bien rangées et il gratte sous le vernis du rêve américain.
Et sous cette plume tranquille, faussement apaisée, se cache un talent qui m’emporte à chaque page : celui d’un auteur capable de faire vibrer la vérité jusque dans ses silences.
Très intéressant ! C’est à la fois un documentaire et une enquête. Ça peut m’intéresser surtout que j’ai envie de découvrir la plume de l’auteur.
Merci Magali 🙂
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Oui, c’est très intéressant et ça se lit vite !
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Je ne connaissais pas cette histoire, je note ce roman qui devrait me plaire. Bon week end
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Je suis tombée dessus parce que j’aime vraiment beaucoup l’auteur !
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Merci pour ce formidable article sur un auteur que je ne connais pas et un roman qui m’a l’air passionnant à tous niveaux.
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C’est un auteur que j’adore, il a une particularité dans son écriture qui fait mouche à chaque fois avec moi !
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Je note aussi. J’apprécie quand les faits réels sont abordés dans le respect de la victime, ce qui semble être le cas ici. Quant à la plume de l’auteur, je pense qu’elle devrait me plaire.
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Voilà qui me fait vraiment plaisir 😊
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Quelle superbe chronique Nath ! Je n’ai lu qu’un roman de cet auteur, Douve, que j’avais bien aimé. Le point de départ de ce dernier roman m’intrigue à souhait ! Cette histoire derrière l’Histoire. Je note, merci !
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Si tu as lu douve, tu comprends peut-être cette particularité dans l’écriture que j’ai tant de peine à exprimer 🙃
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Merci pour cette belle chronique Nath 😊.
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😘
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Je ne connaissais absolument pas cette légende sur le 11 septembre ! Et je ne connais pas cet auteur non plus d’ailleurs. Deux découvertes en une, c’est beau ça. 🙂 Surtout qu’il semble avoir la plume fine pour nous parler de la société et nous parler surtout de nous, les êtres humains, de bons sujets à décortiquer. Merci pour la découverte !
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Franchement, je suis l’auteur depuis son tout premier et j’adore ! (Même si je n’ai toujours pas chroniqué brouillard 😱)
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Mais avec toutes tes chroniques en attente, on peut comprendre 😉
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Effectivement 😅
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Oh quelle belle chronique ma Nath. 🤩
Je le renote de suite.
Il faut dire que Victor est une vrai nouvelle plume à suivre…
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Alors là, je suis complètement d’accord ! Un auteur à suivre, aussi talentueux que humble !
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