« 8,2 secondes » – Maxime Chattam

Lu en : Novembre 2025

Maxime Chattam fait ce qu’il aime et aime ce qu’il fait. Quoi qu’on en dise, ça, c’est un acquis et un vrai gage de sincérité.
Avec ce nouveau roman, l’auteur prend une fois de plus ses lecteurs à contre-pied en offrant une intrigue plus simple, plus introvertie, plus douce. Il nous convie à un double voyage intérieur.

Le premier, aux côtés de Constance, scénariste, qui s’isole dans sa vieille maison familiale pour décider des suites à donner à son existence. Car la mort l’a frappée de plein fouet en lui arrachant son mari et son fils. Continuer ou abandonner, c’est un dilemme que seuls ceux qui ont tout perdu peuvent vraiment comprendre.
Le deuil, à travers Constance, prend une ampleur lyrique sous la plume d’un auteur qui prouve qu’il ne sait pas décrire que le mal.

Le second voyage, nous l’entamons auprès de May. Officier de police, elle découvre la scène d’un meurtre rapidement attribué à celui qu’on surnomme depuis des années le Grand Méchant Loup, un tueur en série insaisissable et monstrueux. May tient absolument à participer à l’enquête. Elle n’y voit pas qu’un moyen de faire ses preuves. Plus que tout, c’est un besoin viscéral de rendre justice à la victime qui la taraude. Et pendant ce temps, l’amour frappe à sa porte.

Je crains fort que le nom de l’auteur m’ait immanquablement mise en condition pour la lecture d’une histoire qui tabasse. Un récit décapant qui me laisse sans souffle et me secoue les méninges.
Or, ici, l’auteur prend le temps. Le temps de poser ses personnages, le temps d’écouter battre leurs cœurs.

J’ai été touchée par bien des passages, incontestablement. J’ai ralenti, j’ai souri. Mais malgré tout, la psychopathe qui sommeille en moi attendait avidement de se lancer sur les traces d’un vrai tordu. Cette part de moi est complètement restée sur sa faim.

Certes, ce Grand Méchant Loup est infâme, mais quand bien même May court après de maigres traces, on ne plonge jamais dans sa psyché. La peur, elle, vient de la retraite de Constance : si le décor paraît idyllique le jour, la nuit le transforme en repaire d’ombres et les cauchemars prennent vie. J’ai aimé cette peur-là.
J’admets volontiers m’être fait berner pour certaines choses, car j’avais vite acquis une certitude sur le secret qui unit Constance et May, évoqué dans la quatrième de couverture, et j’avais tout faux. Même si, une fois le voile levé, la conclusion s’imposait avec logique, je ne boude pas le plaisir de m’être fait cueillir.

Au commencement, j’ai donc savouré, ravie de retrouver l’auteur dans un registre différent, encore. J’aime le voir prendre des risques. Mais j’ai fini par me lasser. J’espérais qu’à la langueur angoissante de l’introspection de Constance s’opposerait une traque plus nerveuse avec May. Mais May arpente les trottoirs de New York à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin. Un travail de fond qui est, certes, plus représentatif de la réalité de terrain des enquêteurs que des rebondissements qui s’enchaînent à la vitesse de l’éclair en fiction. Cependant, moi, je les aime, ces codes du thrillers qui bousculent mes neurones, quitte à sacrifier un brin la crédibilité. Sans parler de cette histoire d’amour qui prend tant d’espace ! Lassée, je le disais, mais parce que je suis une indécrottable allergique à la romance.

Pour autant, je sais que si ce récit portait un autre nom sur la couverture, je l’aurais savouré. Ce qui m’amène à vous parler de quelque chose qui m’agace, je dois le dire, profondément. Le fait qu’un lecteur n’aime pas un livre (pour un tas de bonnes ou mauvaises raisons qui lui sont propres) en fait-il un mauvais livre ? La réponse tombe sous le sens : évidemment, non ! Sauf que, si en général, une déception est exprimée avec respect, on dirait bien que descendre le dernier Chattam est devenu le nouveau sport à la mode ! « plat, ennuyeux », et j’en passe. Je l’ai dit, je l’ai écrit, je ne reviendrai pas sur mes propos : oui, il m’a déroutée et oui, je m’attendais à autre chose. Oui, j’étais déçue. Pour autant, ce livre est bien loin d’être mauvais. Si j’y reviens avec le recul (je l’ai terminé depuis une semaine), il m’en reste une impression teintée de mélancolie, presque poétique. Comme une méditation sur tout ce qu’on perd en chemin : les illusions, les certitudes, parfois même une part de soi. Plusieurs fils s’entrecroisent, plusieurs manières d’aborder cette perte, et c’est peut-être là que réside la véritable richesse du récit. Au-delà de mes attentes bousculées, au-delà de ma surprise première, demeure une profondeur discrète, un écho qui continue de vibrer.

J’avais refermé ces pages avec une impression douce-amère : celle d’avoir apprécié le propos, mais d’avoir ressenti un vrai manque de fond.
Je sens qu’autant que Lux (que j’avais adoré !), ce Chattam-ci risque encore de déclencher des passions. Il y aura les “pros” et les “antis”.
Et puis, il y aura moi, à mi-chemin entre les deux : émue par la lumière, frustrée par une ombre trop discrète, mais définitivement accro à la façon dont Chattam réussit encore à me surprendre… même quand il me frustre… Mais surtout, agacée, vraiment agacée, par ceux qui confondent déception et mépris, et oublient qu’on parle ici du travail d’un auteur. Un livre peut ne pas nous séduire, sans qu’on lui manque de respect pour autant.

30 réflexions sur “« 8,2 secondes » – Maxime Chattam

  1. Ta fin de chronique me fait réfléchir et tu as, à mon avis, tout à fait raison. Il devient de « bon ton » de lui dégommer la tête, quand il se renouvelle, puis quand il ne se renouvelle pas.
    Le reste, c’est une question de sensibilité et de moment de lecture… ce qui est finalement très aléatoire d’un lecteur à l’autre.

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      1. Oui, voilà. Un minimum est de respecter le travail de la personne. Je ne fais pas dans le consensuel, je ne reviens pas sur ce que j’ai dit, je n’ai pas aimé ce livre autant que d’autres de l’auteur et j’ai été déçue. Mais ça ne m’empêche pas de comprendre que c’est lié à mes propres attentes ! Pas besoin de rejeter la faute sur l’écrivain !

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  2. Avec l’âge je suis de moins en moins adepte des thrillers trépidants, sans temps morts (que signifie ce terme?) avec des rebondissements incessants.D’ailleurs j’avais adoré son « Prime time » captivant et quoi qu’il en soit, Chattam a une belle plume, ce qui est à mon sens, une qualité essentielle qui manque à tant de producteurs de thrillers.

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  3. Avatar de laplumedelulu laplumedelulu

    Bon ben ça, c’est fait et tu as très bien expliqué le pourquoi du comment. Je suis tout à fait d’accord avec toi, on peut ne pas aimer sans mettre la tête d’un auteur sur le billot. Merci à toi pour ton retour. Et ton honnêteté 🙏😘

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    1. Oui, je pense que le fait que ce soit un Chattam nous donne des attentes d’un certain niveau (je parle de complexité d’enquête ou même de tension et peut-être même d’horreurs). Ici, on est sur quelque chose de plus intimiste, plus introspectif et c’est déroutant pour un Chattam. Je pense que les prochains lecteurs qui iront en le sachant seront peut-être plus accueillants.

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    2. J’aime beaucoup ton avis. Sincère.

      Je n’ai pas lu ce roman ni aucun autre de l’auteur, mais il est sur ma liste des auteurs à découvrir…

      Je lis beaucoup de retours négatifs effectivement. En soi, cela ne me dérange pas, mais comme tu le soulignes si justement, là où la limite est franchie est sur le manque de respect de l’avis. Ce qui, à mon sans est un non-sens. Ce n’est pas parce qu’un livre nous a déplu qu’il est mauvais. D’autres aimeront sans doute – et tant mieux. Mais tout travail doit être respecté…

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  4. Une chronique négative ou mitigée est toujours intéressante quand elle est faite avec respect comme la tienne. Je t’avoue qu’à part une novella de l’auteur, je n’accroche pas à son style. Pour autant, je serais prête à retenter l’un de ses romans et notamment celui-ci qui semble s’éloigner de ce qu’il propose en général.

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  5. J’aime lire des chroniques « négatives » sur des romans, au plutôt, des chroniques de gens qui n’ont pas aimé le roman, qui disent pourquoi, sans pour autant tirer sur le roman et son auteur (autrice). Tu n’as pas aimé, c’est ton droit, maintenant, je sais pourquoi. De toute façon, je n’aurais jamais eu le temps de lire le nouveau Chattam et voilà…

    Je te comprends aussi, une psychopathe sommeille en moi et aime croiser des tordus dans les séries, romans… c’est grave, docteur ? 😉

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    1. Oui, j’ai ressenti plus fort pour ce dernier Chattam, comme si finalement le fait qu’il soit connu lui conférait une carapace à l’épreuve des critiques acerbes… hors, connu ou non, ça reste un homme comme les autres qui a mis son cœur dans ces lignes… alors je ne généralise pas, évidemment, j’ai vu d’autres retours négatifs mais très respectueux, heureusement !

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